Débordements du cyberespace :
un territoire autocentré
un territoire autocentré
0_Doutes
1_Fluidité : entre la substance matérielle et le langage numérique
2_Internet est un miroir, je me vois ici et là
3_Fabriqué en URL
4_Masque de masse
5_Qui possède nos mémoires ?
6_Du territoire au Cloud
7_Un organe extérieur
8_La fin d'un monde
1_Fluidité : entre la substance matérielle et le langage numérique
2_Internet est un miroir, je me vois ici et là
3_Fabriqué en URL
4_Masque de masse
5_Qui possède nos mémoires ?
6_Du territoire au Cloud
7_Un organe extérieur
8_La fin d'un monde
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Doutes
Parfois je me demande combien de temps j’ai passé à regarder un écran. J’ai été « élevée » par internet. Quelle est la différence entre un homme et une femme ? À quoi ressemble exactement le clitoris ? Pourquoi mon père m’a frappé avec un bâton ? Pourquoi ma mère ne m’aime pas ? Pourquoi les gens ont-ils envie de se détruire ?
Aujourd’hui, quand je me sépare de mon téléphone trop longtemps, je commence à paniquer. Cette « boîte noire » ne serait-elle pas devenue un organe extérieur ?
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Fluidité : entre la substance matérielle et le langage numérique
Pendant mon enfance, j’ai passé beaucoup de temps à faire des dessins traditionnels et des calligraphies. Cela m’apprenait à me concentrer ; c’était également une résistance contre mon anxiété. Ces moments ont construit mon abri, mais grandir nécessite de démolir la protection et l’ordinateur, mon nouvel « ami », a accompagné mon changement de perception face au monde.
J’ai commencé à transcrire et reformer des images en numérique avec des grilles et des dégradés de couleurs qui me rappelaient des effets et des techniques de peintures traditionnelles : des contours concrets et précis, des nuances d’encre, des couleurs apportant de l’air et de la fluidité. Dans l’art du shanshui (paysage en peinture, en littérature et en art du jardin), les angles de vue multiples ouvrent des perceptions différentes : dans un espace restreint, empiler des montagnes et des rivières, planter des fleurs et des arbres, arranger des bâtiments, c’est créer un univers spirituel. Les peintures shanshui débordent du papier et de la soie et réapparaissent dans les jardins : l’esprit de la peinture circule dans les chemins. Cela reflète une cosmologie de l’harmonie entre les objets artificiels et les objets naturels.
Pendant mes études d’architecture, un professeur m’a dit cette phrase :
Pour Walter Benjamin l’architecture a une histoire plus ancienne que toute autre forme d’art. « Les édifices font l’objet d’une double réception : par l’usage et par la perception. En termes plus précis : d’une réception tactile et d’une réception visuelle. » 1 S’approprier l’architecture c'est établir un rapport entre les masses et des œuvres d’art. Avec le développement de nouvelles techniques numériques, de plus en plus d’œuvres sont présentées sous forme digitale ou dans l’environnement virtuel. Elles réagissent aux mouvements, aux gestes ; l’application et la portabilité des supports engagent la tangibilité et l’interaction dans les projets, créent un dialogue entre le spectateur et l’œuvre. La présence du corps est importante parmi ces travaux, la dimension visuelle du support lui-même invite l’activité physique. Le développement technique crée donc la possibilité d’un nouveau langage artistique et d’un nouveau territoire à expérimenter ; il influence nos mémoires et expériences cognitives. La mobilisation de nos sentiments est toujours liée aux matériaux, aux textures, aux espaces.
Nous opposons souvent les objets techniques à l’être humain, pourtant « Ce qui réside dans les machines c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent. » 2 Le langage de la programmation, l’intelligence artificielle sont des formes d’expression comme la photographie ou le cinéma, bien qu’ils ne soient pas donnés à lire ou à voir par le public de la même manière. Les dispositifs techniques sont des extensions de la culture humaine.
Mais l’ordinateur, cet ami outil, n’a pas d’émotions. Un et zéro, oui ou non, exécuter ou non, le langage binaire ne peut pas répondre à mes besoins émotionnels. En essayant d’éluder l’attachement avec les gens, j'ai cherché une compensation pour échapper à des choses trop attendues. Les objets sont des reflets de l’être humain, alors internet est un miroir qui reflète la réalité. Il m’ouvre une fenêtre sur des mirages et me connecte au flux du monde.
J’ai commencé à transcrire et reformer des images en numérique avec des grilles et des dégradés de couleurs qui me rappelaient des effets et des techniques de peintures traditionnelles : des contours concrets et précis, des nuances d’encre, des couleurs apportant de l’air et de la fluidité. Dans l’art du shanshui (paysage en peinture, en littérature et en art du jardin), les angles de vue multiples ouvrent des perceptions différentes : dans un espace restreint, empiler des montagnes et des rivières, planter des fleurs et des arbres, arranger des bâtiments, c’est créer un univers spirituel. Les peintures shanshui débordent du papier et de la soie et réapparaissent dans les jardins : l’esprit de la peinture circule dans les chemins. Cela reflète une cosmologie de l’harmonie entre les objets artificiels et les objets naturels.
Pendant mes études d’architecture, un professeur m’a dit cette phrase :
« Quand tu modifies un trait sur le plan, cela peut potentiellement changer la vie de quelqu’un. »Depuis lors, la corrélation entre les images et les espaces est ancrée dans mon cœur. Il ne s’agit pas seulement de la manière de réfléchir, mais aussi des pouvoirs et des responsabilités d’un créateur. Le mot architecture évoque pour moi une structure et une méthode. Il représente un processus de création et de recherche, une combinaison entre le savoir-réfléchir et le savoir-faire, une construction narrative qui relie l’être humain, les objets, les médias, les espaces.
Pour Walter Benjamin l’architecture a une histoire plus ancienne que toute autre forme d’art. « Les édifices font l’objet d’une double réception : par l’usage et par la perception. En termes plus précis : d’une réception tactile et d’une réception visuelle. » 1 S’approprier l’architecture c'est établir un rapport entre les masses et des œuvres d’art. Avec le développement de nouvelles techniques numériques, de plus en plus d’œuvres sont présentées sous forme digitale ou dans l’environnement virtuel. Elles réagissent aux mouvements, aux gestes ; l’application et la portabilité des supports engagent la tangibilité et l’interaction dans les projets, créent un dialogue entre le spectateur et l’œuvre. La présence du corps est importante parmi ces travaux, la dimension visuelle du support lui-même invite l’activité physique. Le développement technique crée donc la possibilité d’un nouveau langage artistique et d’un nouveau territoire à expérimenter ; il influence nos mémoires et expériences cognitives. La mobilisation de nos sentiments est toujours liée aux matériaux, aux textures, aux espaces.
Nous opposons souvent les objets techniques à l’être humain, pourtant « Ce qui réside dans les machines c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent. » 2 Le langage de la programmation, l’intelligence artificielle sont des formes d’expression comme la photographie ou le cinéma, bien qu’ils ne soient pas donnés à lire ou à voir par le public de la même manière. Les dispositifs techniques sont des extensions de la culture humaine.
Mais l’ordinateur, cet ami outil, n’a pas d’émotions. Un et zéro, oui ou non, exécuter ou non, le langage binaire ne peut pas répondre à mes besoins émotionnels. En essayant d’éluder l’attachement avec les gens, j'ai cherché une compensation pour échapper à des choses trop attendues. Les objets sont des reflets de l’être humain, alors internet est un miroir qui reflète la réalité. Il m’ouvre une fenêtre sur des mirages et me connecte au flux du monde.
1 Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (Dernière version de 1938), Œuvres III, trad. M. de Gandillac et R. Rochlitz, Paris, Gallimard, coll. « Folio/essais », 2000, p. 312.
2 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, coll. « Philosophie », 1989, p. 12.
2 Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, coll. « Philosophie », 1989, p. 12.


Qiu Ying (1494–1552), « Taoyuan Xianjing Tu », handscroll en soie, détails.
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Internet est un miroir, je me vois ici et là
Les mirages ne sont pas l’antithèse de la réalité, ils sont des réalités autres.
Le miroir ajoute une nouvelle dimension pour l’image. L’illusion mystérieuse formée par le miroir peut exploiter les désirs, les fantasmes et les rêves intérieurs. En outre, l’objet dans le miroir peut être réfracté au-delà de la vue.
Tout d’abord il n’y a rien dans le miroir, mais quand le miroir forme une relation avec une autre existence, ils construisent une image. Selon le bouddhisme, le miroir représente « le vide », « la moralité pure » et « l’apparence ». Les connaissances du monde dépendent des perceptions à travers le miroir : si les gens voient le côté obscur, cela va susciter des aversions, des besoins, des désirs ; si quelqu’un se complaît devant ce miroir, comme s’il tombait dans le monde de la vanité, il devient fou. Narcisse vit sa beauté dans le reflet, et il mourut de désespoir de ne pouvoir ni toucher ni aimer l’être qu’il voyait. Dans le tableau de Van Eyck Les Époux Arnolfini, le petit miroir convexe à l’arrière-plan est devenu l’œil du témoin : il révèle qu’ils n’ont pas de contact physique, tout comme la présence de deux autres personnes, ce qui ramène un autre temps dans l’image. Ce médium propose à l’artiste la possibilité de réaliser un changement d’image profond et subtil, des espaces doubles, des visions multiples superposables.
Dans des peintures chinoises traditionnelles, on voit souvent les miroirs qui représentent un moyen de se connaître soi-même. Dans une illustration de la pièce du dramaturge Wang Shifu Xi xiang ji 1 par le peintre Min Qiji, nous voyons, mais seulement dans le reflet du miroir, la protagoniste lire une lettre, et une personne derrière le paravent qui la regarde furtivement, du point de vue d’un voyeur, qui est aussi le nôtre depuis une autre orientation sur la scène. La représentation du paysage dans le paravent sépare les deux personnes. Ce paravent, comme un miroir, reflète le monde extérieur. Le dispositif de la « scène d’emprunt » est souvent utilisé dans les constructions de jardin traditionnel pour étendre le champ visuel de l’espace.
Internet ramène chaque individu au centre du miroir ; les distances entre humains ou avec les objets ne sont que liens partagés et données chiffrées, qui produisent une vague infinie que nous ne pouvons nous approprier. C’est un espace qui transcende le territoire, un flux qui mêle toutes les époques, toutes les représentations. La réalité et le virtuel s’entrelacent ici et là.
Je me regarde, ici et là-bas, je crée des traces, de moi ou qui n’existent pas. Je suis devant ce miroir, je me vois au centre là-bas, c’est une terre qui augmente avec moi ou qui n’existe pas. Je me vois dans une cage ici, dans des yeux d’oiseaux là-bas. Je me vois, parfois sous la lumière, parfois dans l’obscurité, je me renseigne, je me demande, je demande et je doute encore. Les désirs, les fantasmes et les rêves sont là-bas où ils n’existent pas.
Le miroir ajoute une nouvelle dimension pour l’image. L’illusion mystérieuse formée par le miroir peut exploiter les désirs, les fantasmes et les rêves intérieurs. En outre, l’objet dans le miroir peut être réfracté au-delà de la vue.
Tout d’abord il n’y a rien dans le miroir, mais quand le miroir forme une relation avec une autre existence, ils construisent une image. Selon le bouddhisme, le miroir représente « le vide », « la moralité pure » et « l’apparence ». Les connaissances du monde dépendent des perceptions à travers le miroir : si les gens voient le côté obscur, cela va susciter des aversions, des besoins, des désirs ; si quelqu’un se complaît devant ce miroir, comme s’il tombait dans le monde de la vanité, il devient fou. Narcisse vit sa beauté dans le reflet, et il mourut de désespoir de ne pouvoir ni toucher ni aimer l’être qu’il voyait. Dans le tableau de Van Eyck Les Époux Arnolfini, le petit miroir convexe à l’arrière-plan est devenu l’œil du témoin : il révèle qu’ils n’ont pas de contact physique, tout comme la présence de deux autres personnes, ce qui ramène un autre temps dans l’image. Ce médium propose à l’artiste la possibilité de réaliser un changement d’image profond et subtil, des espaces doubles, des visions multiples superposables.
Dans des peintures chinoises traditionnelles, on voit souvent les miroirs qui représentent un moyen de se connaître soi-même. Dans une illustration de la pièce du dramaturge Wang Shifu Xi xiang ji 1 par le peintre Min Qiji, nous voyons, mais seulement dans le reflet du miroir, la protagoniste lire une lettre, et une personne derrière le paravent qui la regarde furtivement, du point de vue d’un voyeur, qui est aussi le nôtre depuis une autre orientation sur la scène. La représentation du paysage dans le paravent sépare les deux personnes. Ce paravent, comme un miroir, reflète le monde extérieur. Le dispositif de la « scène d’emprunt » est souvent utilisé dans les constructions de jardin traditionnel pour étendre le champ visuel de l’espace.
Internet ramène chaque individu au centre du miroir ; les distances entre humains ou avec les objets ne sont que liens partagés et données chiffrées, qui produisent une vague infinie que nous ne pouvons nous approprier. C’est un espace qui transcende le territoire, un flux qui mêle toutes les époques, toutes les représentations. La réalité et le virtuel s’entrelacent ici et là.
Je me regarde, ici et là-bas, je crée des traces, de moi ou qui n’existent pas. Je suis devant ce miroir, je me vois au centre là-bas, c’est une terre qui augmente avec moi ou qui n’existe pas. Je me vois dans une cage ici, dans des yeux d’oiseaux là-bas. Je me vois, parfois sous la lumière, parfois dans l’obscurité, je me renseigne, je me demande, je demande et je doute encore. Les désirs, les fantasmes et les rêves sont là-bas où ils n’existent pas.

1 Min Qiji, illustration de l’acte 10 de Xi xiang ji [L’histoire du pavillon d’Occident], 1640, xylographie en couleur.
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Fabriqué en URL
Dans ce monde infini, la photographie sur les réseaux sociaux offre un visage au grand public. Tout le monde peut faire des images, s’autogérer et s’automodifier. On regarde des gens qui nous regardent, un dialogue entre ici et là, un individu face à autrui.
En 2011, dans une exposition intitulée 24 hours in photo, le designer néerlandais Erik Kessels a imprimé les photos mises à jour sur Flickr pendant 24 heures : « une montagne énorme de photo » avec plein d’ironie qui montre que les gens acceptent les conditionnements imposés par les médias sociaux. Par exemple, Instagram est devenu une source de communication et une forme de documentation. Le glyphe « # » avec un mot signifie un flux d’images, lié à une archive numérique construite par des internautes.
J’aime collecter. Je collecte des images produites en ligne, banales, sans aucun but artistique. Je collectionne également des histoires qui n’existent que dans le monde virtuel. La collection est pour moi une ressource primaire et primordiale en termes de documentation, quels que soient les supports (images, écrits, matériaux, etc.). Son enrichissement permanent élargit sans cesse mes champs de recherche et de création.
« Pepe La Grenouille », une grenouille verte avec un corps humanoïde, est à l’origine un personnage comique qui est devenu un mème. Après que les images de Pepe aient été réappropriées comme des symboles politiques ou haineux, l’auteur a déclaré sa mort. Un avatar peut-il « mourir » ? Quand le bébé est séparé de la mère, il devient un être individuel, non plus subordonné au créateur ! Même si Pepe est « mort », il est encore utilisé avec différentes significations symboliques.
L’artiste Amalia Ulman a joué une performance avec ses selfies « Excellences & Perfections » sur Instagram pendant cinq mois. Son espièglerie a berné des milliers d’internautes. Elle a publié des photos avec des hashtags populaires dans le réseau pour discuter de l’image des femmes sur internet.
Nos images sont transformées par les plateformes sociales en ligne. Cet environnement développe une scène qui permet de produire toutes les identités. Quelle est la différence entre une personne sur les réseaux et un avatar virtuel ?
En 2011, dans une exposition intitulée 24 hours in photo, le designer néerlandais Erik Kessels a imprimé les photos mises à jour sur Flickr pendant 24 heures : « une montagne énorme de photo » avec plein d’ironie qui montre que les gens acceptent les conditionnements imposés par les médias sociaux. Par exemple, Instagram est devenu une source de communication et une forme de documentation. Le glyphe « # » avec un mot signifie un flux d’images, lié à une archive numérique construite par des internautes.
J’aime collecter. Je collecte des images produites en ligne, banales, sans aucun but artistique. Je collectionne également des histoires qui n’existent que dans le monde virtuel. La collection est pour moi une ressource primaire et primordiale en termes de documentation, quels que soient les supports (images, écrits, matériaux, etc.). Son enrichissement permanent élargit sans cesse mes champs de recherche et de création.
« Pepe La Grenouille », une grenouille verte avec un corps humanoïde, est à l’origine un personnage comique qui est devenu un mème. Après que les images de Pepe aient été réappropriées comme des symboles politiques ou haineux, l’auteur a déclaré sa mort. Un avatar peut-il « mourir » ? Quand le bébé est séparé de la mère, il devient un être individuel, non plus subordonné au créateur ! Même si Pepe est « mort », il est encore utilisé avec différentes significations symboliques.
« Once out of his hand the artist has no control over the way a viewer will perceive the work. Different people will understand the same thing in a different way. » 1
L’artiste Amalia Ulman a joué une performance avec ses selfies « Excellences & Perfections » sur Instagram pendant cinq mois. Son espièglerie a berné des milliers d’internautes. Elle a publié des photos avec des hashtags populaires dans le réseau pour discuter de l’image des femmes sur internet.
Nos images sont transformées par les plateformes sociales en ligne. Cet environnement développe une scène qui permet de produire toutes les identités. Quelle est la différence entre une personne sur les réseaux et un avatar virtuel ?
1 Sol Lewitt, « Paragraphs on conceptual art », Conceptual Art : A critical anthology, The MIT press, 1999, p.12-16.